Dans le troisième millénaire avec Black Athena?





by Wim van Binsbergen

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W.M.J. van Binsbergen, 2000, ‘Dans le troisième millénaire avec Black Athena?’, in: Fauvelle-Aymar, F.-X., Chrétien, J.-P., & Perrot, C.-H., Afrocentrismes: L’histoire des Africains entre Égypte et Amérique, Paris: Karthala, pp. 127-150

version avril 2001[1]

En dépit des espoirs contraires formulés par les éditeurs (Mary Lefkowitz et Guy MacLean Rogers) de la collection d’essais critiques parue en 1996 sous le titre Black Athena Revisited,[2] le débat autour de Black Athena[3] est encore bien vivant et toujours aussi incisif. Martin Bernal a prévu d’ajouter à Black Athena d’autres volumes, qui viendront avec un retard compréhensible, et projette également d’apporter à Black Athena Revisited une réponse cinglante, sous le titre de Black Athena Writes Back.[4]Le recueil d’essais que j’ai édité en 1997 sous le titre Black Athena Ten Years After avait déjà rouvert le débat après Black Athena Revisited. Depuis, le sociologue des religions Jacques Berlinerblau a publié son Heresy in the University,[5] exégèse fiable et critique équilibrée (donc assez positive et constructive) de l’oeuvre de Bernal. Désormais, suffisamment de matière, de discussions et de réflexions ont été produites pour que, en faisant fi du soutien et des acclamations qu’il a reçus, nous essayions de décanter, au milieu des erreurs manifestes et des partis pris que la masse des écrits critiques sur le sujet a mis au jour depuis 1987, les contributions durables que Bernal aura pu apporter. De quelle manière, sur quels terrains et à quelles conditions méthodologiques et épistémologiques strictes la croisade de Martin Bernal mérite-t-elle d’avoir un impact durable sur notre perception de la Méditerranée orientale dans I’antiquité ? Et question encore plus pertinente dans le cadre du present ouvrage:[6] quel impact pourraient avoir les thèses de Black Athena sur notre perception de l’Afrique ? C’est sur cette derrière question que j’effectuerai une enquête détaillée dans un livre à venir: Global Bee Flight. Sub-Saharan Africa ancient Égypt and the World. Beyond the Black Athena Thesis.

 

Martin Bernal et le projet Black Athena

Martin Bernal, né en 1937 en Grande-Brétagne, est un sinologue formé à Cambridge (G.-B.). Sa spécialisation sur l’histoire intellectuelle des échanges entre la Chine et l’Occident vers 1900,[7] ainsi que ses articles de circonstance -- à l’époque -- sur le Vietnam dans la New York Review of Books, lui ont valu en 1972, une chaire de professeur dans le département d’études politiques à Cornell University, Ithaca (N.Y., États-Unis). Là, il devait rapidement élargir l’étendue géographique et historique de ses recherches, comme l’indique le fait qu’il ait déjà combine son poste, en 1984, avec celui de professeur adjoint d’études proche-orientales dans la même université. Ainsi se tournait-il, en milieu de carrière, vers un ensemble de questions qui étaient assez éloignées de son premier champ de recherche.[8] Mais en même temps, ces questions occupent une place centrale dans la tradition intellectuelle nord-atlantique depuis le XVIIIe siècle; cette tradition a revendiqué pour elle-même, de façon hégémonique, une place qui prétend être à la fois le centre unique et la source historique originelle d’une production de connaissances qui, dans le monde d’aujourd’hui, tend à devenir planétaire. La civilisation globale moderne est-elle le produit -- comme dans la représentation eurocentriste dominante -- d’une aventure intellectuelle qui a commencé, pour ainsi dire de zéro, avec les Grecs anciens, I’unique résultat des réalisations sans précédents et a-historiques de ces derniers ? Ou bien la représentation selon laquelle le genie grec (comprenez: européen) serait la seule et la plus ancienne source de civilisation, est-elle simplement un mythe raciste et eurocentriste ? Dans ce dernier cas, son double effet a été d’alimenter l’illusion de la supériorité culturelle européenne à l’âge de l’expansion européenne (surtout au XIXe siècle) et de libérer l’histoire de la civilisation européenne de toute dette vis-à-vis des civilisations (indubitablement beaucoup plus anciennes) de la région du vieux monde, où eut lieu la révolution agricole, qui s’étend depuis le Sahara, naguère fertile, et l’Éthiopie, à l’Égypte, la Palestine et la Phénicie, jusqu’à la Syrie, l’Anatolie, la Mésopotamie, l’Iran (englobant ainsi le Croissant fertile, plus étroit) et la vallée de l’Indus. Ici, la Crète minoenne, puis mycénienne, occupe une place essentielle: soit comme «première civilisation européenne de la Méditerranée orientale »; soit comme île de langue « afro-asiatique », avant-poste des cultures plus anciennes de l’Asie occidentale et de l’Égypte; soit comme les deux en même temps. Un peu comme pour la dépendence plus tardive de la civilisation européenne mediévale à l’égard des sources arabes et hébraïques, Bernal affirme qu’il y eut, aux origines mêmes de la civilisation grecque, aujourd’hui européenne, nord-atlantique et de plus en plus mondiale, une contribution «afroasiatique» capitale (ou plutôt «africaine et asiatique», I’afro-asiatique n’étant que l’une des families linguistiques eventuellement impliquées).

Le monumental projet de Bernal, Black Athena, envisagé comme une tétralogie dont seuls les deux premiers volumes ont jusqu’à present été publiés, aborde ces questions selon deux lignes principales d’arguments. Le premier volume, outre qu’il présente un premier aperçu extrèmement ambitieux des conclusions attendues du projet -- mais délibérément laissé sans discussion détaillée des matériaux empiriques et à peine référencé -- consiste surtout en un exercice fascinant portant sur l’histoire et la sociologie de la connaissance académique européenne. Il retrace la prise de conscience historique, parmi les producteurs culturels européens, de l’existence d’une dette intellectuelle de l’ancienne Europe à l’égard de l’Afrique et de l’Asie, aussi bien que la répression subséquente de cette conscience, avec l’invention, à partir du XVIIIe siècle, du miracle grec. La deuxième ligne d’arguments, dont le volume II a été le premier acompte, présente les témoignages historiques, archéologiques, linguistiques et mythologiques qui concourent à prouver cette dette. Cette dépendence historique est symbolisée par le nouveau regard que porte Bernal (après Hérodote)[9] sur Athéna, sans doute la plus ostensiblement hellénique des divinités grecques anciennes, la percevant comme une émanation grecque périphérique de la déesse Neith [Nt] de Saïs, -- comme une Athéna noire.

Jusqu’à present, la reception des deux volumes de Black Athena a été plutôt variée. Les chercheurs sur l’antiquité gréco-romaine, qui ont lu ce travail non pas tant comme une critique soigneuse de toute la culture intellectuelle eurocentriste nord-atlantique que comme une dénonciation visant spécifiquement leur propre discipline par un auteur qui continue d’insister sur son exteriorité par rapport à la discipline, leur ont souvent opposé hautainement une fin de non-recevoir. Ce fut moins le cas -- surtout avant la publication du volume II -- des spécialistes dans les domaines de l’archéologie, des cultures et des langues du Proche-Orient ancien et des religions comparées. Pratiquement tous les critiques ont été impressionnés par l’ampleur et la profondeur de l’érudition de Bernal et sont restés perplexes devant la distance qu’il affiche vis-à-vis des débats académiques actuels qui n’ont pas été initiés par lui.[10] Tous déplorent son manque de sophistication méthodologique, théorique et épistémologique.

C’est dans les cercles d’intellectuels afro-américains (African American) que la thèse centrale de Bernal a suscité le plus d’enthousiasme. L’importance considérable de Black Athena dans le monde actuel y a été promptement reconnue, non pas tant comme une correction purement académique d’une histoire ancienne par trop lointaine, mais comme une contribution révolutionnaire à la politique globale de la connaissance à notre époque. Le potentiel libérateur de la thèse de Bernal réside dans le fait qu’elle accorde aux intellectuels situés à l’extérieur de la tradition blanche nord-atlantique, politiquement et matériellement dominante, un droit historique héréditaire, indépendent et même prééminent, à une pleine admission sous le soleil intellectuel planétaire. l’Égypte est reputée avoir civilisé la Grèce, et de là, il semble qu’il n’y ait plus qu’un seul pas à faire pour admettre que l’Afrique, le Sud, les gens de couleur noire, ont civilisé l’Europe, le Nord, les gens de couleur blanche. Jusqu’à present, ce triomphe idéologique est resté sans justification sérieuse, empirique et méthodologiquement acceptable, que ce soit de la part de Bernal ou de la part des afrocentristes. Mais ceci ne veut pas dire qu’une telle justification soit intrinsèquement impossible. Bien entendu, elle reste problématique: comme je le dirai dans Global Bee Flight, il est loin d’être évident que l’ancienne Égypte puisse subsumer l’Afrique tout entière, y compris subsaharienne. Mais la position afrocentriste doit cependant être défendue,[11] en dépit de ses defauts méthodologiques actuels. Car il y a eu en effet des interactions très étendues entre l’Égypte et le reste de l’Afrique, dans les deux sens, et ces interactions ont été absolument cruciales pour l’histoire culturelle globale.

Venant d’un universitaire blanc de la classe aisée comme Bernal, qui est socialement et somatiquement étranger aux problèmes noir, l’impact de Black Athena a été considérable. Le livre est partie prenante de la construction progressive d’une identité noire militante, offrant comme option non pas le rejet dédaigneux du modèle dominant blanc nord-atlantique, ni une glorification parallèle de soi comme dans le contexte de la Négritude de Senghor et Césaire, mais l’explosion de ce modèle. Et une bonne part de l’agressivité rencontrée par Bernal provient de la crainte de voir la recherche scientifique s’éroder et se politiser face à l’afrocentrisme militant. D’un autre côté, comme le montre très clairement Berlinerblau,[12] plusieurs afrocentristes ont attaqué Bernal pour n’avoir présenté qu’une version édulcorée et peu originale de l’afrocentrisme, ne faisant que répéter, à leur avis, des idées que les théoriciens noirs de ce mouvement ont formulées depuis les années 1800 jusqu’à nos jours.

Étant donne l’ampleur formidable, au XXe siècle, des études égyptologiques et portant sur le Proche-Orient ancien, nous n’aurions pas dû avoir besoin de Bernal pour répandre l’idee, d’abord d’un développement culturel multicentré dans l’ancienne Méditerranée orientale, puis celle qui en découle d’une dette de la civilisation grecque classique vis-à-vis de l’Asie occidentale et de l’Afrique du Nord-Est, y compris l’Égypte. Ex oriente lux a en effet été, depuis le début du XXe siècle, le slogan d’un nombre toujours croissant de chercheurs sur le Proche-Orient ancien.[13]

Cela a aussi été, pendant des décennies, le nom de la société néerlandaise pour l’étude du Proche-Orient ancien et le titre de sa revue.[14] Mario Liverani attire cependant notre attention sur l’eurocentrisme essentiel qu’implique ce slogan, qu’il refuse de considérer comme une directive valide pour la pratique de l’histoire ancienne aujourd’hui:

« Le déplacement de la primauté culturelle du Proche-Orient vers la Grèce (ce dont il est question dans le livre de Bernal) a été interprété en fonction de deux slogans: Ex Oriente Lux [...] (principalement utilisé par les orientalistes) et le ‘‘miracle grec’’ (principalement utilisé par les antiquisants). Ces slogans ont semblé représenter des conceptions opposées, mais ils exprimaient en realité une seule et même idée: I’appropriation occidentale de la culture du Proche-Orient ancien, dans l’intérêt de son propre développement »[15]

Cependant, le message sur la dette culturelle de l’ Europe à l’égard du Proche-Orient ancien ne fut pas vraiment bienvenu lorsqu’il fut formulé pour la première fois, et des chercheurs sémitistes aussi imaginatifs que Gordon et Astour se trouvèrent sous le feu des critiques lorsqu’ils publièrent leurs importantes contributions dans les années 1960. Et même si cette dette n’est plus le secret qu’elle était il y une centaine d’années, Bernal peut être félicité de l’avoir popularisée, étant donné la reception hostile que cette idée a reçue jusque dans les années 1980. Black Athena a permis dans une large mesure de la rendre accessible à des cercles qui en avaient besoin pour construire et reconstruire leur propre identité. Mais Bernal lui-même ne prétend pas à une originalité excessive:

« ... il doit paraître évident à tout lecteur que mes livres sont basés sur la recherche scientifique moderne. Les idées et informations que j’utilise ne viennent pas toujours des champions de la sagesse conventionnelle, mais très peu des hypothèses historiques avancées dans Black Athena sont originales. L’originalité de cette série d’ouvrages vient de ce qu’elle rassemble et place au centre du propos des informations qui étaient auparavant éparpillées ou périphériques ».[16]

Mais la thèse de Bernal sur l’histoire européenne des idées sur l’Égypte, aussi bien que son insistence sur le rôle de l’Égypte dans le contexte des échanges culturels bien réels en Méditerranée orientale aux IIIe et IIe millénaires avant J.-C., résistent-elles aux épreuves méthodologiques et factuelles des diverses disciplines concernées ?

 

La dette culturelle de la Grèce ancienne

La nature polémique de la thèse de Black Athena, combinée avec les libertés méthodologiques et théoriques indubitables de son auteur, ont incité beaucoup de critiques à recourir à la caricature pour résumer la position de Bernal. Une de ces caricatures lui reproche d’essayer de réduire la culture grecque à un simple reliquat d’une diffusion intercontinentale. La problématique de la créativité culturelle dans un contexte de diffusion est cependant loin d’être absente chez Martin Bernal,[17] qui se définit lui-même comme partisan d’un « diffusionnisme modifié », cherchant par là à cerner la différence entre le modèle obsolète de la transmission mécanique et de l’adoption globale d’éléments culturels inchangés de provenance lointaine, et le modèle beaucoup plus séduisant qui insiste sur une transformation locale et créative de la matière diffusée, une fois arrivée à destination. En dépit de défaillances égyptocentriques occasionnelles qui lui font voir la diffusion comme automatique et à sens unique, Bernal manifeste souvent sa conscience des tensions entre diffusion et localisation transformante (transformative localisation):[18]

« Bien que je sois convaincu que la grande majorité des themes mythologiques grecs est venue d’Égypte ou de Phénicie, il est également évident que leur sélection et leur traitement sont typiquement grecs, et qu’à cet égard ils reflètent la société grecque ».[19]

De l’aveu général, une part considérable des systèmes de production, de la langue, des dieux et des sanctuaires, des mythes, de la magie et de l’astrologie, de l’alphabet, des mathématiques, des compétences nautiques et commerciales des Grecs anciens -- en somme, une grande partie de ce que nous associons avec la civilisation grecque ancienne- ne procéda pas d’inventions originales de leur part, mais avait eu des antécédents clairement identifiables dans des cultures voisines établies de longue date. Déjà, les aperçus tronqués présentés dans le volume I de Black Athena et anticipant sur les résultats futurs -- aperçus qui, à mon avis, n’auraient jamais du être discutés sérieusement avant que leurs pleins développements ne paraissent dans les volumes à venir -- ont provoqué un vif débat sur les possibles antécédents égyptiens de la science et de la philosophie grecque classique. Bernal a rencontré ici des adversaires implacables comme Robert Palter,[20] mais aussi B. G. Trigger, archéologue et égyptologue qui considère par ailleurs le projet global de Black Athena avec une évidente sympathie.[21] Mais les sources venant du Proche-Orient ancien ont aussi été lues dans le sens d’une défense des vues de Bernal, et les polémiques à propos des racines afro-asiatiques de la philosophie et de la science grecques ont gagné en importance dans le débat autour de Black Athena.

 

Le débat autour de Black Athena

La publication du volume II de Black Athena, en 1991, a non seulement provoqué un nouvel accroissement du nombre de disciplines impliquées dans le débat,[22] mais a aussi été marquée par un changement de ton notable. Tant que le projet Black Athena consista essentiellement (comme dans le volume I) en un passage en revue de l’image de l’Égypte dans l’histoire intellectuelle européenne, il fut généralement applaudi pour sa solide érudition et pour sa critique des préjuges eurocentristes et racistes qui avaient été le lot de plusieurs générations de chercheurs sur l’antiquité, aujourd’hui morts depuis longtemps. Glen Bowersock, le grand spécialiste américain des études classiques, ne fait montre d’aucun aveuglement à l’égard des petits défauts du volume I, mais il écrit pourtant:

« C’est un travail étonnant, extraordinairement audacieux dans sa conception et écrit avec passion. Il s’agit du premier volume d’une série de trois, destinés à saper rien moins que le consensus regnant dans les études classiques, qui s’est développé pendant plus de deux cents ans au sujet des origines de la civilisation grecque ancienne. [...] Bernal montre avec force que notre perception actuelle des Grecs s’est constituée artificiellement entre la fin du XVIIIe siècle et aujourd’hui. [...] La façon dont Bernal traite ce sujet est aussi excellente qu’importante ».[23]

Mais lorsque le volume II fut publié, quatre ans plus tard, Bernal abordait véritablement l’histoire ancienne de la Méditerranée orientale -- sujet qui constitue le travail de toute une vie pour des centaines de chercheurs vivants. Et il le faisait d’une façon tout à fait alarmante, dans un style beaucoup moins bon que celui du volume I, invoquant des étymologies égyptiennes toujours plus provocantes pour des noms propres ou des termes du lexique du grec ancien (quoique beaucoup d’entre elles soient plus solides que celle se rapportant à Ht Nt), insistent sur la pénétration cultuelle en mer Egée non seulement de la déesse Neith mais aussi d’autres dieux égyptiens spécifiques, se basant sur du matériel mythologique comme si son eventuel fond historique factuel pouvait aisément être identifié, affirmant l’existence d’une présence physique d’Égyptiens en Egée en relation avec des travaux d’irrigation, un tumulus monumental et des traditions qui se rapportent à la campagne militaire d’un pharaon noir en Europe du Sud-Est et en Asie voisine, bouleversant les chronologies établies du Proche-Orient ancien, attribuant les tombes à fosse mycéniennes à des envahisseurs levantins identifiés comme des Hyksos déjà porteurs d’une culture égyptienne, et renouvelant sa sympathie envers des idées afrocentristes devenues entre-temps, aux États-Unis, encore plus bruyantes et plus politisées. C’est à ce stade que beaucoup de chercheurs se désolidarisèrent de Bernal et que la critique savante authentique et justifiée se combine avec une contestation politique de droite contre le message à la fois malvenu, anti-eurocentriste, interculturel et intercontinental du projet d’ensemble de Black Athena -- développement qui prit forme et qui devait s’achever avec la publication de Black Athena Revisited en 1996.

Ce que Mary Lefkowitz et Guy MacLean Rogers, les éditeurs de Black Athena Revisited, ont à coup sûr réussi à provoquer, c’est un état d’alarme et d’embarras chez tous les chercheurs et les amateurs qui avaient vraiment à coeur de continuer d’avancer dans la voie que Bernal avait cherché à ouvrir avec Black Athena. Et c’est un vrai problème dans le contexte de mon propre travail actuel, précisément parce qu’il est en sympathie avec celui de Bernal. Comment pourrait-on honnêtement et publiquement continuer à s’inspirer d’un auteur dont le travail a été caracterisé en ces termes par un critique aussi bien informé que Robert Palter:

« Ceux qui se sentent aujourd’hui sérieusement enclins à formuler une critique politique radicale de l’érudition contemporaine [...] devraient réfléchir à deux fois avant de s’associer avec les méthodes et les affirmations du travail de Bernal; [...] car ses manquements aux exigences les plus élémentaires d’une saine recherche historique — traditionnelle, critique, ou n’importe quel genre de recherche historique -- doivent nous rendre prudents sur ses grandioses déclarations historiographiques. [...] En l’absence de contrôles adéquats des témoignages et des arguments, la perception de l’histoire présentée dans Black Athena manque continuellement de sombrer dans l’idéologie pure » .[24]

Sarah Morris loue l’autoréflexion critique que Black Athena a suscité dans les études classiques, mais trouve cela trop cher payé, compte tenu de la politisation injustifiée qui affecte les recherches sur le Proche-Orient ancien:

« D’un autre côté, il [l’ouvrage de Bernal] a renforcé, d’une façon que l’auteur n’avait pas prévue, un programme afrocentriste qui ramène beaucoup de débats à zero et qui met à bas des décennies de recherches scrupuleuses par des chercheurs aussi excellents que Frank Snowden. Un chaudron infernal de racisme, de récriminations et d’insultes verbales s est mis à bouillir au sein de différents départements et disciplines; il est devenu impossible pour des égyptologues professionnels d’aborder la vérité sans recevoir des injures, et les arguments de Bernal ont seulement contribué à provoquer une avalanche de propaganda radicale sans fondement factuel ».[25]

Plus radicale encore, Mary Lefkowitz estime qu’en dépit de ses bonnes intentions, Bernal est coupable d’alimenter ce qui n’aurait pu rester qu’un feu de paille afrocentriste avec un combustible ayant toutes les apparences du sérieux et de l’érudition.[26]

Mais pourtant l’histoire ne s’arrête pas là. Comment comprendre, par exemple, les éloges que l’éminent égyptologue et archéologue B. G. Trigger adresse à Black Athena ? De toute evidence, il ne voit pas le projet de Martin Bernal comme un simple exercice d’élévation de la conscience pour des Noirs en quête d’identité,[27] mais comme une contribution importante à l’histoire de l’archéologie -- I’une des spécialités de Trigger[28] -- et comme un stimulant aiguillon montrant les possibilités d’innovation dans cette discipline qu’il considère comme affectée d’un scientisme débordant.[29] Trigger lui-même, cependant, insiste sur les insuffisances méthodologiques de Bernal et rejette sa chronologie problématique, notamment en ce qui concerne les Hyksos. En tant qu’égyptologue, Trigger n’est absolument pas convaincu non plus par les arguments de Bernal en faveur des grandes campagnes européennes et asiatiques conduites par Senwosret I ou III au début du IIe millénaire avant J.-C. Il est aussi très critique à l’égard de la tendance de Bernal à prendre la mythologie ancienne au pied de la lettre. Étant donné le grand nombre de mythes aussi bien égyptiens que grecs, estime Trigger, il est facile pour tout chercheur de faire son choix et d’affirmer l’existence de relations historiques entre des sélections opérées au sein de chaque ensemble: encore l’aspect méthodologique. En 1997, j’avais adopté la même position que Trigger, mais je suis aujourd’hui convaincu qu’avec une meilleure méthodologie les intuitions de Bernal concernant la provenance égyptienne et phénicienne de la plupart des mythes grecs pourraient être sauvées.

Les cordes factuelles, chronologiques et méthodologiques frappées par Trigger, en tant que critique profondément compréhensif, ont trouvé un écho, avec des dissonances et des fortissimo, dans Black Athena Revisited comme dans les autres lieux du débat autour de Black Athena. Nombreux sont ceux qui déplorent les defauts et même l’absence de méthodologie dans les écrits de Bernal. Et pourtant de telles critiques s’avèrent souvent difficiles à asseoir, comme il ressort des deux études de cas méthodologiques fort peu convaincantes que Palter inclut dans son argumentation totalement critique.[30] Mais par ailleurs Edith Hall met en evidence de façon convaincante la naïveté méthodologique avec laquelle Bernal manipule le matériel mythique.[31] Et pourtant Bernal s’enorgueillit précisément de la nature explicitement théorique de son approche et de l’attention qu’il prête aux facteurs relatifs à la sociologie de connaissance qui, estime-t-il,[32] constituent la principale différence entre son travail et, par exemple, Die Begegnung Europas mit Ägypten de S. Morenz.[33]

De nombreux critiques ont été effarés par ce qu’ils considèrent comme une confusion, chez Bernal, entre culture, ethnicité et race.[34] Ils le suspectent de croire, à la façon sommaire du XIXe siècle, que les déplacements physiques des hommes sous forme de migrations et de conquêtes constituent les principaux facteurs explicatifs du changement culturel. Ils le blâment également pour son utilisation non systématique et linguistiquement incompétente des étymologies.

Beaucoup ne relèvent pas ces différents aspects mais refusent simplement -- pour des raisons internes à leur discipline scientifique plutôt que pour des raisons politiques et Idéologiques -- de reconnaître dans son approche une manière lègitime et moderne d’aborder l’histoire ancienne.[35] Ainsi l’éminent historien de l’antiquité J. D. Muhly,[36] qui résume ses objections méthodologiques avec les propres mots de Bernal:

« Il est difficile pour un chercheur non inscrit dans une discipline et faisant tout par lui-même (going it alone) de savoir ou s’arrêter » .[37]

Selon Baines, et en réponse à la prétension de Bernal d’avoir opéré rien moins qu’un changement de paradigme dans le champ de l’histoire ancienne, la notion de paradigme n’est ici guère applicable:[38]

« En dépit des nombreuses applications qu’a connues le terme de Kuhn depuis la publication de son livre [le livre de Kuhn, i. e. The Structure of Scientific Revolutions], les études sur le Proche-Orient ancien ne sont pas une ‘‘science’’ ou une discipline dans le sens kuhnien. Elles sont plutôt la somme d’une série de methodes et d’approches appliquées à une grande variété de matériaux venant d’une région géographique et d’une période particulières; même les définitions de la région et de la période sont sujettes à révision. Pour autant que le Proche-Orient ancien puisse être lié à des paradigmes, ces derniers seraient, par exemple, les théories de la complexité et du changement social, ou dans d’autres cas des théories de la forme littéraire et du discours. Ce point est celui où les objectifs de Bernal sont les plus éloignés de ceux de beaucoup de spécialistes des études sur le Proche-Orient ancien ».[39]

Beaucoup de critiques se demandent si l’intention revendiquée par Bernal d’essayer de comprendre la civilisation grecque est sincère: tout ce qu’ils peuvent voir est l’obsession de la provenance et des déplacements culturels intercontinentaux aux IIIe et IIe millénaires avant J.-C., aussi bien que les politiques identitaires de la fin du XXe siècle après J.-C., mais à coup sur nulle appréciation cohérente et empathique de la structure interne, des orientations morales et esthetiques, de l’expérience religieuse et de l’univers quotidien des Égyptiens, des Levantins et des Grecs anciens.[40] C’est une critique recevable, sur laquelle nous reviendrons plus loin.

Bien que comprenant de nombreux aperçus, faiblement référencés, des conclusions attendues dans les volumes ulterieurs, le volume I de Black Athena est d’abord un exercice portent sur l’histoire des idées européennes. Plusieurs critiques déplorent l’incompétence avec laquelle Bernal traite ce qu’il considère comme un flux de connaissances égyptiennes qui -- souvent sous le nom d’hermétisme -- aurait traversé la culture ésotérique européenne depuis l’antiquité tardive. Il est difficile de dire si leur fin de non-recevoir ressortit à autre chose qu’à la simple repugnance des chercheurs à voir des « pseudo-sciences » comme l’astrologie, la géomancie et l’alchimie, ou encore des traditions inventées comme la franc-maçonnerie, élevées au status respectable de véhicules servant à la transmission secrète des connaissances égyptiennes.[41]

Bien sûr, le dire ainsi revient à relayer la façon dont beaucoup d’occultistes eux-mêmes ont vu les choses à travers les siècles. Mais depuis l’antiquité tardive jusqu’aux Lumières, la production intellectuelle de l’Europe s’inscrit massivement (ne pas dire d’une façon prédominante) dans le champ ésotérique, laissant derrière elle une littérature énorme que très peu de chercheurs appréhendent avec compétence; et si Bernal n’est pas de ceux-là, ses explorations n’en sont pas moins courageuses et stimulantes.

Avec l’histoire intellectuelle des XVIIIe et XIXe siècles, nous sommes sur un terrain beaucoup plus familier; ici les spécialistes éprouvent peu de difficulté à montrer que certains de ceux que Bernal prend pour de méchants racistes (Kant, Goethe, Lessing, Herder) étaient en fait -- au moins à l’apogée de leur carrière -- des héros de la connaissance interculturelle et des théoriciens modernes de la tolérance, reconnus comme tels par le monde entier.[42] Josine Blok a offert une discussion pénétrante de cette dimension du travail de Bernal. [43] La maîtrise limitée qu’a Bernal de l’allemand -- déjà manifeste par le nombre considérable de fautes d’orthographe dans les entrées allemandes de ses bibliographies -- est peut-être en partie responsable de ses défauts sur ce point: il était forcé de se baser sur des traductions anglaises et sur la littérature secondaire.

 

Themes critiques

Arrivés à ce point, nous pouvons prendre la mesure d’un certain nombre de themes critiques qui interviennent dans le débat général autour de Black Athena.

En premier lieu, la quête d’origines (lesquelles sont souvent, de toute façon, imperceptibles) relève davantage du domaine de la construction d’une identité ethnocentrique de clocher que de celui d’une sereine recherche scientifique. Bernal montre -- d’une façon grosso modo convaincante en dépit de nombreuses erreurs de détail -- comment une représentation particulière de l’histoire de la Grèce ancienne a servi les intérêts eurocentristes; mais bien sur, sa représentation alternative sert elle aussi, inévitablement, des intérêts Idéologiques, comme le démontre son rapprochement avec le mouvement afrocentriste qui fleurit parmi les intellectuels noirs. Ironiquement, le titre même et le slogan (contenu dans le titre) de Black Athena illustrent le fait que Bernal emploie le langage de la race pour délivrer son message antiraciste et anti-eurocentriste; de toute evidence, il lui reste encore à mener un peu plus loin ses efforts emancipatoires.

Deuxièmement, I’identification de la provenance n’entame en rien l’importance cruciale de la localisation transformante, après que le produit culturel emprunté ait atteint -- au terme d’un processus de diffusion -- sa région de destination. Encore une fois, il existe quantité de témoignages indiquant que des termes du lexique grec, des noms de divinités, des mythes dans lesquels elles figurent, des éléments de la philosophie et des sciences -- aussi bien que de nombreuses traces palpables de ces faits culturels recueillis dans le champ de l’archéologie classique -- dérivent en effet de prototypes venant du Moyen-Orient ancien (y compris égyptien), mais cela n’empêche pas du tout que ces réalisations culturelles, une fois arrivées en mer Egée, aient connu une histoire locale complexe et imprévisible qui en fit des réalisations éminemment grecques.

Cela nous amène à la pièce centrale du dispositif de Bernal, la déesse grecque Athéna elle-même. Aux déjà nombreuses étymologies de son nom que l’érudition a produites pendant des siècles,[44] Bernal en ajoute une nouvelle, qui dérive de l’ancien égyptien Ht Nt, « temple de Neith » La Neith libyenne était une déesse égyptienne importante durant la période archaïque de l’histoire de l’Égypte ancienne (3100-2700 avant J.-C.) et elle connut un renouveau sous la XXVIe dynastie (VIIe siècle avant J.-C.), originaire de Saïs, lorsque les mercenaires grecs occupaient une position importante. Bien que l’étymologie spécifique Ht Nt pour Athéna doive effectivement être considérée comme réfutée sur la base de la linguistique historique,[45] la somme de détails iconographiques et sémantiques que Bernal fait valoir rend tout à fait concevable que le lien entre la déesse grecque Athéna, patronne tutélaire de la principale ville de la civilisation grecque à son apogée, et son équivalent égyptien Neith, soit allé un peu plus loin qu’une simple ressemblance superficielle projetée selon les termes de l’interpretatio graeca. La déesse Athéna est-elle le produit de l’adoption, dans quelque eau stagnante du nord de la Méditerranée, de modèles culturels égyptiens splendides et séculaires -- par suite de campagnes militaires et de colonisation, d’une pénétration hyksos, du commerce ? Une telle adoption peut-elle servir d’emblème pour une action civilisatrice beaucoup plus massive des Égyptiens en mer Egée pendant l’age de Bronze ? Alors pourquoi en trouvons-nous si peu de traces dans les sources archéologiques égéennes de l’age du Bronze,[46] les preuves d’une influence égyptienne sur la Crète minoenne et sur la Grèce mycénienne restant limitées et indirectes?[47]

Bien sûr, toute une partie du volume II de Black Athena est consacrée à une discussion sur le fait que cette pénurie de vestiges archéologiques est un effet de myopie, et exhorte à lire les témoignages disponibles avec un regard différent.[48] Mais peu de spécialistes ont été convaincus.

De quelle théorie avons-nous besoin pour nous accommoder à la fois des continuités lexicales et mythologiques entre l’Égypte ancienne et la mer Egée, et de l’absence de traces archéologiques d’une telle continuité ? À quelle situation ethnographique concrète, à quel mécanisme social spécifique un tel processus étrangement séléctif de transmission culturelle correspond-il ? Peut-être à celui de travailleurs ayant migré de façon involontaire et temporaire depuis la Crète vers l’Égypte du Moyen ou du Nouvel Empire: des artisans contractuels (comme ceux peut-être qui créèrent les fresques minoennes récemment découverte dans la ville d’Avaris, dans le delta[49]) restés assez longtemps sur place pour être suffisamment exposés aux influences cultuelles (y compris mythologiques) et linguistiques, mais en même temps trop pauvres, surveillés de trop près, sous l’emprise trop étroite de leur propre chauvinisme ethnique ou de quelque préscription religieuse interdisant l’importation de produits étrangers en Crète minoenne, pour rapporter chez eux des objets égyptiens. Une autre possibilité expliquant l’abondance de trace linguistiques, religieuses et mythiques parallèlement à l’absence de traces dans la culture matérielle, pourrait résider dans un certain modèle de diffusion cultuelle: des étrangers relativement isolés de leur pays natal (en l’occurrence l’Égypte) et sans pouvoir militaire et économique, qui viennent s’installer sur le sol égéen en offrant aux indigènes la seule ressource qu’ils possèdent, à savoir leur expertise dans un système mythico-cultuel de provenance égyptienne qui avait acquis un grand prestige dans toute la Méditerranée occidentale ancienne. Pensons par exemple au rôle des marabouts individuels réislamisant la campagne nord-africaine pendant des siècles, ou aux missionaires chrétiens des îles britanniques qui convertirent l’Europe du Nord-Ouest durant la seconde moitié du premier millénaire après J.-C.; dans les deux cas comparatifs de l’Afrique du Nord et de l’Europe du Nord-Est, l’on rencontre une semblable pénurie de traces archéologiques d’une influence cultuelle venant respectivement du Maurétanie et des îles britanniques.

Quoi qu’il en soit, le point important est ici de reconnaître la contribution essentielle de l’Égypte, ou plus généralement du Proche-Orient ancien, à la civilisation grecque classique (l’argument de la diffusion), et d’admettre en même temps qu’Athéna a dépassé ses origines égyptiennes présumées, coupant progressivement cet ancien lien pour s’intégrer dans la culture locale émergente et se transformer au cours de ce processus (l’argument de la localisation). Elle devint un important foyer cultuel ainsi qu’un symbole identitaire de réalisations culturelles locales qui étaient, au final, distinctivement grecques.

La troisième observation qui peut être faite concerne la méthodologie. Nous n’avons aucune connaissance directe du passe. Si nos assertions historiques sont scientifiques, c’est parce qu’elles sont basées sur le traitement de toutes les sources disponibles à la lumière de méthodes et de procédures explicites et répétables, incluant le passage devant le forum international des pairs académiques. Il en va de même pour un outsider qui travaille tout seul, comme Bernal; il s’institue d’ailleurs lui-même comme un outsider, d’une façon inténable pour quelqu’un qui est, depuis 1984, professeur associé d’etudes proche-orientales à Cornell, I’une des principales universités américaines. Sa fierté à ressusciter les vues savantes du début du XXe siècle, sa fixation obstinée sur l’étymologie Ht Nt, alors même qu’il admet qu’elle ne peut être défendue que par un recours à la contingence et non aux lois de la linguistique systématique,[50] plus généralement son excès de sensibilité face à ses critiques, et la dénonciation toujours prête (en référence à ce qu’il monopolise sous l’expression de « sociologie de la connaissance ») des arrière-pensées idéologiques, eurocentristes ou racistes, comme ultime argument contre ses nombreux adversaires -- tout cela manifeste un étrange mélange de réalisme empirique et d’idéalisme politique, un déficit choquant de méthode et d’epistémologie et un refus répréhensible de la nécessaire composante sociale ou collective de la recherche.

La méthode n’est pourtant pas tout dans la recherche, et les idées les plus précieuses dérivent souvent, au-delà des règles prosaïques et routinières, d’une intuition qui, après tout, comme le dit Spinoza, est la plus haute forme de connaissance. Bernal possède un mystérieux talent pour émettre des intuitions solides qu’il étaye ensuite avec ses méthodes peu soignées. Ce n’est sans doute pas comme cela qu’il faudrait faire, mais c’est éminemment pardonnable compte tenu de l’autre choix possible: une recherche scientifique méthodologiquement impeccable et faisant feu de tout bois, mais sans véritable avancée intellectuelle.

Après plusieurs années de participation au débat autour de Black Athena, débat au cours duquel je me suis quelque peu familiarisé avec la mythologie et la langue égyptiennes, ce sont les affirmations de Bernal dans les domaines mythologique et etymologique qui, à mon sens, apparaissent les plus convaincantes.

« Naturellement, je maintiens que la raison pour laquelle il est si remarquablement facile de trouver des correspondences entre des mots grecs et égyptien est que de 20 à 25% du vocabulaire grec dérive en fait de l’égyptien! » [51]

Ce genre de déclaration statistique précise est souvent répétée (mais sous des versions différentes!) dans le travail de Bernal, quoique les calculs par lesquels il l’étaye ne soient pas rendus explicites. L’échantillon d’étymologies égyptiennes proposées pour des mots grecs, inclus dans son article « Responses to Black Athena »,[52] peut convaincre le lecteur que, au moins à un niveau qualitatif, l’affirmation n’est pas dénuée de fondements. Mais ici encore c’est l’absence totale d’une méthode explicite et approuvée (y compris apparemment l’utilisation des methodes développées par d’autres chercheurs dans ce champ particulier) qui donne des résultats non systématiques et peu convaincants à première vue. Les étymologies proposées par Bernal doivent être récoltées dans les différents travaux[53] qu’il a publiés dans la ligne de Black Athena. Ils se limitent généralement à des atomes lexicaux isolés et non pas des champs sémantiques intégrés et étendus, car son plus grand handicap est en définitive le manque d’une imagination sociologique et culturelle qui lui permettrait de produire l’image cohérente d’une culture vivante, plutôt qu’une vague accumulation d’origines qui sont virtuellement mortes durant le passage.

De la même façon, Bernal manie le mythe comme si son contenu historique était evident en soi et non problématique, et il semble ne pas être du tout au courant des grandes avancées réalisées depuis le XIXe siècle dans le domaine de l’étude des mythes. Là encore, on aurait tendance, sur le plan méthodologique et théorique, à révoquer en doute toutes ses assertions. Mais je dois pourtant revenir à présent sur le scepticisme que j’avais exprimé à l’égard de la provenance égyptienne du mythe d’Erichtonios dans une longue note de mon article « Alternative models of intercontinental interaction towards the earliest Cretan script ».[54] On lira dans Global Bee Flight une analyse détaillée et documentée sur le plan théorique des transformations subies par les mythes égyptiens (et libyens) au cours de leurs déplacements vers la mer Egée et vers l’Afrique. Je suis à present aussi convaincu de la solidité de l’intuition générale de Bernal sur ces points que des defauts méthodologiques de son analyse spécifique.[55]

Enfin, la quatrième observation qui peut être faite concerne la juxtaposition mécanique des familles de langues indo-européenne et afro-asiatique, comme si cela résumait tout ce qu’il y a à dire sur les interactions culturelles dans l’ancienne Méditerranée orientale. Cette juxtaposition provient de ce que Bernal ne peut s’empêcher de considérer la langue comme la clef de l’histoire culturelle, ce qui est aussi responsable de l’expression si mal appropriée de « racines afro-asiatiques de la civilisation grecque classique ». Cette juxtaposition incite en outre en penser selon les termes d’une alternative stricte (ou bien / ou bien), ce qui convient parfaitement à la rhétorique politique sousjacente au débat autour de Black Athena (Blanc contre Noir; ethnocentrisme contre radicalisme favorable à l’émancipation; Europe contre reste du monde), mais obscurcit les continuités qui peuvent caractériser la véritable dynamique culturelle et linguistique de cette région. Plus important encore, le paysage culturel et linguistique du Proche-Orient ancien s’avère aujourd’hui englober ce qui, dans l’argumentaire de Black Athena, est resté jusqu’à present un hôte non invité: le substrat linguistique et culturel de la Méditerranée ancienne, qui s’intercale entre l’indo-européen et l’afroasiatique. Des spécialistes ont en effet invoqué ce substrat méditerranéen pour effectuer des reconstitutions étymologiques et religieuses de la Méditerranée ancienne. Il fournit un modèle beaucoup plus convaincant des échanges culturels dans une région qui présente déjà des continuités et des ressemblances fondamentales depuis les temps néolithiques -- que ne l’est celui (contrairement à ce que dit Bernal) d’une simple diffusion qui se serait effectuée depuis une unique source privilegiée, comme par exemple l’Égypte, à une époque aussi tardive que l’age du Bronze. Je trouve ainsi beaucoup plus séduisant d’envisager Athéna et Neith comme deux rameaux fortement apparentés sortie d’une même souche qui, dans toute l’ancienne Méditerranée orientale, a engendré de grandes déesses associées au monde souterrain, à la mort et à la violence -- associations qui étaient souvent (mais pas dans le cas d’Athéna telle que nous la connaissons de l’époque gréco-romaine classique) reliées au symbolisme de l’abeille. On fait ainsi avancer quelque peu le problème de l’étymologie des noms d’Athéna et de Neith: les deux déesses, et les noms qui s’y rapportent, ne sont pas des dérivations l’une de l’autre, mais les deux sont probablement des dérivations d’une déesse moins égyptienne ou libyenne que ouest-asiatique, dont le nom nous est parvenu sous la forme d’Anat ou Anath.[56]

L’argument de Global Bee Flight -- bien qu’inspiré par Bernal -- s’éloigne ainsi considèrablement de la thèse de Black Athena; il insiste plutôt sur les interactions préhistoriques entre une tradition culturelle africaine subsaharienne et un substrat méditerranéen qui, contrairement à un substrat afroasiatique, ne se laisse pas facilement renvoyer à une provenance africaine. Ce sont ces interactions, cette échange entre des éléments africains et des éléments méditerranéens sans provenance africaine récente, qui produisirent, en premier lieu, le système politique, la culture et la société de l’ancienne Égypte. Une fois en place, cette culture égyptienne a exerce à son tour, durant trois millénaires, une influence décisive (avec des phénomènes prévisibles de feedback, compte tenu de la dette culturelle de l’ancienne Égypte à l’égard de ces régions) sur la Méditerranée orientale, sur l’Afrique du Nord et sur l’Afrique subsaharienne. De tous ces phénomènes, Global Bee Flight n’explorera que ceux se rapportant à l’Afrique subsaharienne, surtout dans les domaines de la royauté sacrée et des mythes.

 

Pour une réévaluation -- et au-delà

Tout cela nous amène à une réévaluation d’abord constructive du projet Black Athena. Le volume I de Black Athena consistait en une déstruction éminemment réussie du mythe eurocentriste de l’origine autonome de la civilisation grecque -- un acte digne du plus grand respect, un acte libérateur de déconstruction des mythes de l’érudition antérieure (et, incidemment, un acte par lequel la compétence spécifique de Bernal, en tant qu’historien achevé employant une méthodologie implicite mais séculaire, produit un argumentaire très[57]  éloigné du mythe).

Le volume II de Black Athena, manquant d’une telle méthodologie et se hasardant dans un domaine où la production, la remise en circulation et la réproduction du mythe savant étaient par trop tentantes, n’a pas produit les énoncés scientifiques qu’il se disposait à produire. Le grand débat qu’il a engendré est essentiellement un effort collectif visant à formuler les conditions et les procedures sous lesquelles les assertions de Bernal (ou les affirmations alternatives pouvant les remplacer) peuvent être variés, ou du moins sous lesquelles leur contenu mythique peut être négligé. Des lors, même les réactions destructrices ou dédaigneuses, même les réactions les plus critiques, sont fondamentalement constructives, et les réponses spécifiques fournies après coup par Bernal (souvent plus précises, plus claires, plus subtiles et plus satisfaisantes que ses déclarations d’abord publiées) font ressortir encore une fois le fait que la vérité scientifique est le produit -- habituellement ephémère -- d’un processus social entre pairs.

Il faut à present que le fardeau proprement insupportable qu’il s’était imposé à lui-même soit partagé avec d’autres, travaillant sous une epistémologie plus convaincante mais toujours dans l’esprit de Bernal, c’est-à-dire dans l’idée que le grand défi de notre époque est celui de l’interculturalité et de la multicentralité, et toujours avec cet esprit d’interdisciplinarité et d’imagination savante.

Si Martin Bernal produit une vérité inextricablement mélangée de mythe; si son epistémologie naïve y est propice; s’il n’a pas adopté de méthodologies plus largement acceptables pour l’analyse mythique et étymologique; si sa reconstruction de l’histoire moderne des idées est peut-être trop schématique et en partie fausse; s’il se montre lui-même plus habile au repérage des trajectoires des faits culturels et religieux isolés qu’à la comprehension de la complexité intégrée des transformations culturelles et religieuses localisées; s’il y a mille autres choses plus ou moins bancales dans Black Athena, -- eh bien ce sont autant de sujets pour un programme de recherches qui doit occuper le plus grand nombre possible d’entre nous pendant une bonne partie du XXIe siècle.

Au milieu de sa vie et sans posséder la formation académique requise pour être un spécialiste des langues classiques et du Proche-Orient ancien, en archéologie et en histoire ancienne, Martin Bernal s’est lancé dans une tâche proprement herculéenne. Un dilemme fondamental accompagne le projet de Black Athena depuis le commencement: son étendue est beaucoup trop vaste pour une seule personne, et ses implications politiques, Idéologiques et morales beaucoup trop complexes pour que cette personne puisse toutes les évacuer en même temps. Mais quel que soit le vice de forme qui affecte le projet de Bernal, il est plus que compensé par l’étendue de son champ de vision, qui lui a fait réaliser que, à l’intérieur comme au-dehors du monde des chercheurs, créer une alternative viable et acceptable à l’eurocentrisme est le défi intellectuel le plus important de notre temps.

L’une des stratégies employée pour réduire l’alarme suscitée par Black Athena parmi les specialistes de la Grèce et du Proche-Orient ancien a consisté à éprouver et à réfuter les details de son argumentation, pour ensuite, d’un air artier, se retirer du débat. L’autre manière de s’en sortir, et que je préconise chaleureusement, est de continuer le travail dans l’esprit du projet de Martin Bernal, mais avec des moyens considérablement accrus en termes de personnel, de disciplines impliquées, de finances et de temps, et de voir ou cela nous mènera: bien au-delà de la thèse de Black Athena, sans aucun doute. Mais avec des questions nouvelles et stimulantes, vers une nouvelle comprehension du monde ancien, et mieux équipés pour notre futur global.

 

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[1]       Cette article est une version un peu élaborée de la traduction française, de la main de François-Xavier Fauvelle-Aymar, d’une version anglaise (van Binsbergen, 1998), qui est elle-même une version raccourcie de W. van Binsbergen (1997a).

[2]       M. Lefkowitz et G. M. Rogers (eds., 1996).

[3]       M. Bernal, Black Athena (1987, 1991).

[4]       M. Bernal Black Athena Writes Back (sous presse).

[5]       J. Berlinerblau (1999).

[6]       C.-à-d. Fauvelle-Aymar c.s., 2000, éd., Afrocentrismes, où la présente version française fût publiée pour la première fois.

[7]       M. Bernal ( 1975).

[8]       M. Bernal (1987). pp. xii et sqq.

[9]       Sur l’Athéna égyptienne de Hérodote, voir Histoires, II 28, 59, 83, etc. Plus généralement, sur la dette religieuse des Grecs vis-à-vis de l’Égypte, voir Histoires, II 50 sq. L’identification de Neith avec Athéna n’était pas limitée a Hérodote, mais était partagée par l’ensemble du monde antique gréco-romain.

[10]     J. Berlinerblau (1999), pp. 93 et sqq., spéc. p. 105, essaie de montrer que l’importante réaction suscitée par Black Athena doit être attribuée au fait que son auteur soulève implicitement les problèmes centraux de notre époque: la lutte des minorités identitaires, le multiculturalisme, la théorie postcoloniale, la découverte de la nature hégémonique des connaissances nord-atlantiques, la sociologie et la politique des connaissances en général, etc. Cela n’est cependant guère convaincant, car Bernal n’identifie que très rarement ces débats, leurs auteurs et leur fondements épistémologiques et philosophiques.

[11]     Pour l’esquisse d’une telle défense, cf. van Binsbergen, W.M.J., 2000, ‘Le point de vue de Wim van Binsbergen’, in: Autour d’un livre. Afrocentrisme, de Stephen Howe, et Afrocentrismes: L’histoire des Africains entre Egypte et Amérique, de Jean-Pierre chrétien [ sic ] , François-Xavier Fauvelle-Aymar et Claude-Hélène Perrot (dir.), par Mohamed Mbodj, Jean Copans et Wim van Binsbergen, Politique africaine, no. 79, octobre 2000, pp. 175-180.

[12]     Cf. Berlinerblau (1999) dans un chapître (VII) ironiquement entitulé ‘The academic Elvis’ -- mettant l’emphase sur la critique afrocentriste selon laquelle Bernal ait approprié des idées noirs, tout comme Elvis Presley, en son temps, se trouvait accusé d’avoir approprié, en tant que Blanc, un style musicale noire.

[13]     Parmi les études savantes qui, en dehors du débat sur Black Athena, ont insisté sur la continuité essentielle entre les civilisations du Proche-Orient ancien et la Grèce, voir S. N. Kramer ( 1959); O. Neugebauer ( 1969); C. Gordon ( 1962); C. H. Gordon ( 1966); J.B. de C.M. Saunders (1963); M.C. Astour (1967); J. Fontenrose (1980). Ces approches ont revivifié l’antique adage latin « Ex oriente lux » qui, pour Bernal, contient en raccourci l’« ancien modèle » d’une dette de la Grèce -- et de l’Europe entière -- vis-à-vis du Proche-Orient; adage qui fut rejeté par les Lumières: « C’est du Nord aujourd’hui que nous vient la lumière » (Voltaire, lettre a Cathérine II, 1771 ).

[14]     De façon parlante, Bernal admet avoir d’abord sous-estimé la signification de ce cri de ralliement Voir Black Athena, vol. II ( 1991), p. 66.

[15]     M. Liverani (1996), p. 423.

[16]     M. Bernal, « Review of ‘‘Word Games: the linguistic evidence in Black Athena‘‘, Jay H. Jasanoff and Alan Nussbaum », in M. Bernal (sous presse).

[17]     Voir par exemple ce que Bernal appelle lui-même la « troisième distorsion », de son travail, qui concerne précisément ce point. M. Bernal (1993; 1997) et Black Athena. II ( 1991), pp. 523 et sqq.

[18]     Voir W. van Binsbergen ( 1997b).

[19]     M. Bernal. Black Athena, I, (1987), p. 489, note 59.

[20]     R. Palter ( 1996a). Nous reviendrons plus loin sur les critiques de Palter.

[21]     B.G. Trigger (1995), p.93; (1992).

[22]     Plusieurs numéros thématiques de revues internationales ont été consacrés au débat sur Black Athena: M. M. Levine et J. Peradotto (eds. 1987); Journal of Mediterranean Archaeology ( 1990), vol. 3, n° 1; Isis ( 1992) vol. 83, n° 4; Journal of Women’s History (1993), vol. 4, n° 3; History of Science (1994), vol. 32, n° 4; Vest Tidskrift for Vetanskapsstudier ( 1995), vol. 8. n° 5; Talanta: Proceedings of the Dutch Archaeological and Historical Society, vol. 28-29.

[23]     G. Bowersock (1989).

[24]     R. Palter ( 1996b), pp. 350-351.

[25]     S. Morris ( 1996), pp 173-174.

[26]     M. Lefkowitz ( 1996b), p. 20.

[27]     P. Cartledge ( 1991).

[28]     B. G. Trigger ( 1980; 1989).

[29]     B. G. Trigger (1992).

[30]     R. Palter (1996b), pp. 388 et sqq.

[31]     E. Hall (1996).

[32]     M. Bernal, Black Athena, I (1987), pp. 433 et sqq.

[33]     S. Morenz (1969).

[34]     G. M. Rogers ( 1 996); F. Snowden ( 1996); C. L. Brace et al. ( 1996); J. Baines ( 1996).

[35]     J. Baines (1996), p.39.

[36]     J. D. Muhly (1990).

[37]     M. Bernal, Black Athena, I (1987), p. 381.

[38]     Voir aussi J. Berlinerblau (1999), pp. 93 et sqq., qui offre une excellente discussion de la question des paradigmes dans l’oeuvre de Bernal, insistant sur la grande différence entre Kuhn et Bernal -- différence ignorée par ce dernier.

[39]     37 J. Baines ( 1996), p. 42.

[40]     38. R Jenkyns (1996), p.413; J. Baines (1996), p.39

[41]     R Jenkyns ( 1996), p. 412; J. Baines ( 1996), p. 44. voir aussi M. Lefkowitz Not out of Africa (1996).

[42]     Sur Kant. Goethe et Lessing, voir R. Palter ( 1996b); R. Jenkyns ( 1996). Sur Herder, voir R. E. Norton ( 1996).

[43]     J. H. Blok ( 1997). dont une version plus courte est J. H. Blok ( 1996).

[44]     Voir W. Fauth ( 1977).

[45]     Voir A. Egberts ( 1997).

[46]     Les sources ne sont tout de même pas tout a fait vierges. Voir R. B. Brown ( 1975); E. Cline ( 1990).

[47]     Voir A. Evans (1909); J.G.P. Best (1997); F.C. Woudhuizen (1997); W. van Binsbergen (1997); et aussi H. Teissier (sous presse). A la lumière de F. C. Woudhuizen (1997), il serait tentant d’amender le dernier argument pour accorder un peu plus de credit a l’idee d’une influence égyptienne large et directe sur la Crète du deuxième millénaire. Cependant, la discussion que je mène dans la deuxième partie de Global Bee Flight à propos des cultes liés aux abeilles en Méditerranée orientale (y compris le culte de Neith en Égypte ancienne), doit d’abord être incorporée dans l’argument de Woudhuizen avant que je puisse envisager de réviser mon propre argument de 1997.

[48]     M. Bernal. Black Athena, II ( 1991), chap. XI.

[49]     M. Bietak ( 1992).

[50]     Bernal, M., 1997, ‘Response to Arno Egberts’, in: van Binsbergen, W.M.J., 1997, ed., Black Athena: Ten Years After, Hoofddorp: Dutch Archaeological and Historical Society, special issue, Talanta: Proceedings of the Dutch Archaeological and Historical Society, vols 28-29, 1996-97, pp. 165-171.

[51]     M. Bernal, Black Athena, I (1987), p.484, note 141. Comme le fait remarquer J. Berlinerblau (1999) p. 213 notes 29-30, Bernal donne parfois des statistiques bien différentes sur ce point.

[52]     M. Bernal (1997).

[53]     Pour une vue d’ensemble, voir M. Bernal (1997), ainsi que l’index de W. van Binsbergen (1996-1997, ed.), dans lequel j’ai compilé un nombre considérable de mots grecs pour lesquels Bernal propose une étymologie afro-asiatique (égyptienne ou ouest-sémitique).Voir aussi les sources Internet suivantes: « lien hypertexte http://www-ctp.mit.edu/~alford/semit.html; « lien hypertexte http://www-ctp.mit.edu/~alford/égypt.html ».

[54]     W. van Binsbergen (1997b). Voir aussi A. Lambropoulou (1988).

[55]     Voir aussi J. M. Davison ( 1987).

[56]     Voir J. Fontenrose (1980), pp. 139, 244, 253 n. 48. Bien entendu, la déesse Anat était établie dans le pantheon égyptien des l’époque des Ramessides. Voir H. Bonnet (1952). pp. 37 et sqq.

[57]     Mais pas complètement. Voir les critiques de J. Blok (1997); R. Palter (1996b); R. Jenkyns ( 1996); R. E. Norton ( 1996).

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